Résumé des points clés
- Nous recrutons 10 000 Canadiens pour tester leur domicile et fournir des échantillons d’ongles d’orteils, car ces derniers conservent des traces de notre exposition à long terme aux substances radioactives présentes dans l’environnement, comme le radon.
 - Les règles actuelles qui encadrent les programmes de dépistage du cancer du poumon ne peuvent pas encore inclure l’exposition au radon comme critère de risque. La raison en est que peu de personnes peuvent déclarer de manière fiable leur exposition au radon sur plusieurs décennies, comme elles peuvent le faire pour le nombre d’années où elles ont fumé du tabac.
 - Deux personnes sur cinq qui développent un cancer du poumon au Canada aujourd’hui ne répondent pas aux critères d’inclusion actuels pour le dépistage, dont la moitié n’ont jamais fumé du tout, et l’autre moitié ayant fumé trop peu, ou trop longtemps auparavant, pour que le tabac seul soit considéré comme la cause.
 
10 000 Canadiens recherchés pour une étude révolutionnaire
L’équipe de l’Étude nationale Evict Radon recrute 10 000 Canadiens pour tester leur domicile et fournir des échantillons d’ongles d’orteils. Les ongles d’orteils peuvent sembler être un outil de recherche improbable, mais ils contiennent des informations à long terme sur notre exposition à des substances radioactives présentes dans l’environnement, notamment le gaz radon, un gaz naturel, invisible, inodore et radioactif, qui constitue la deuxième cause de cancer du poumon après le tabagisme.
Actuellement, les programmes de dépistage du cancer du poumon ne peuvent pas inclure l’exposition au radon comme facteur de risque, car peu de gens peuvent rapporter avec précision leur exposition sur plusieurs décennies. Contrairement au tabagisme, il n’existe aucun moyen simple de mesurer la quantité de radon à laquelle une personne a été exposée au cours de sa vie.
Deux Canadiens sur cinq diagnostiqués avec un cancer du poumon aujourd’hui ne répondent pas aux critères actuels de dépistage. La moitié de ces personnes n’ont jamais fumé, tandis que l’autre moitié ont fumé trop peu ou trop longtemps auparavant pour que le tabac soit considéré comme la cause principale. Les chercheurs croient maintenant qu’un simple échantillon d’ongles d’orteils pourrait combler cette lacune et potentiellement changer la manière dont nous évaluons le risque de cancer du poumon à l’avenir.
Quand le cancer du poumon frappe sans avertissement
À 47 ans, Emi Bossio se sentait bien dans sa peau. Elle dirigeait un cabinet d’avocats prospère, avait deux enfants en pleine croissance et une bonne santé. Puis, elle a développé une toux persistante, et le diagnostic qui s’en est suivi lui a coupé le souffle.
« Je n’ai jamais fumé, jamais. Je mangeais sainement et je restais active. Je me suis dit : je ne peux pas avoir le cancer du poumon », raconte Bossio. « C’était un choc total. Un moment cataclysmique. Il n’y a pas de mots pour le décrire. »
Bossio a dû abandonner sa pratique juridique pour se concentrer sur son traitement et sa guérison. Dans le cadre de ce parcours, elle a endossé un nouveau rôle d’avocate pour la sensibilisation au cancer du poumon. Elle ne sait toujours pas ce qui a causé son cancer du poumon. Il en va de même pour Tim Monds, un non-fumeur qui, en 2016, à l’âge de 57 ans, a reçu un diagnostic de cancer du poumon non à petites cellules (NSCLC) de stade I. En deux ans, le cancer est passé au stade IV.
« Les patients atteints du cancer du poumon, comme moi, vivent plus longtemps. C’est une bonne chose, mais nous devons identifier le risque de cancer plus tôt. Nous savons que la détection précoce et les programmes de dépistage sont efficaces pour réduire les taux de mortalité », explique Monds.
Cherchant à comprendre la cause de leur maladie, Bossio et Monds se sont intéressés aux recherches du Dr Aaron Goodarzi, directeur scientifique de l’Étude nationale Evict Radon, qui dirige une équipe interdisciplinaire étudiant les causes environnementales du cancer du poumon, comme le radon.
Les ongles d’orteils contiennent une mémoire vivante de l’exposition
Le Dr Goodarzi et son équipe ont peut-être trouvé un moyen de rendre mesurable l’exposition au radon à long terme. La nouvelle étude vise à fournir des données essentielles pour estimer le risque de cancer du poumon d’une personne en fonction de son exposition au radon — et pour cela, les chercheurs ont besoin des coupes d’ongles d’orteils des Canadiens.
« Nous avons découvert que nos ongles d’orteils conservent des informations à long terme sur notre exposition à des substances radioactives présentes dans notre environnement, comme le gaz radon. Ils constituent l’un des “archives biologiques” de notre corps », explique le Dr Goodarzi. « Après avoir inhalé du radon, celui-ci se transforme rapidement en une forme particulière de plomb radioactif. Le corps traite ce plomb radioactif de la même manière que tout autre plomb, en le stockant dans les tissus à renouvellement lent tels que la peau, les cheveux et les ongles. »
Une étude de validation de principe, publiée dans la revue Environment International par le Dr Goodarzi et le cochercheur principal Dr Michael Wieser, a démontré que mesurer le plomb radioactif dans les ongles d’orteils est une méthode prometteuse pour estimer l’exposition au radon sur le long terme.
« Nous croyons avoir découvert une méthode fiable et quantitative pour mesurer l’exposition au radon sur le long terme à l’échelle individuelle », déclare le Dr Wieser. « Nous avons combiné l’épidémiologie de la dose de rayonnement personnalisée et la spectrométrie de masse par dilution isotopique pour effectuer des mesures ultrasensibles du produit de désintégration du radon. Nous avons testé les isotopes du plomb dans les ongles et prouvé qu’ils pouvaient servir de méthode quantitative pour révéler l’exposition cumulative au radon à l’échelle individuelle. »
Le projet pilote, financé par la Société canadienne du cancer, a recruté des participants de l’Étude nationale Evict Radon. Grâce à un nouveau financement, une étude de validation à plus grande échelle est maintenant en cours pour recruter jusqu’à 10 000 personnes à travers le Canada.
                                    À l’intérieur du laboratoire spécialisé
Les ongles d’orteils sont analysés dans un laboratoire spécialisé sans métal au sein du Environmental Cancer Research Hub de l’Arnie Charbonneau Cancer Institute à l’Université de Calgary. Les comptoirs et les étagères sont faits de plastique, et les murs ont un revêtement unique pour éviter toute contamination. Les chercheurs portent des chaussures et des sarraus en plastique, et des protocoles stricts sont appliqués pour contrôler tout ce qui entre dans le laboratoire.
Le processus commence par la séparation des isotopes du plomb des autres atomes présents dans l’échantillon à l’aide d’un micro-ondes à haute puissance et de techniques de chromatographie ionique. Les échantillons sont ensuite mesurés à l’aide d’un spectromètre de masse à multi-collecteurs, un instrument extrêmement sensible capable de compter les atomes individuels d’un isotope donné.
« Ce fut une tâche difficile de mettre au point la méthodologie pour mesurer une quantité ultra-trace (de l’ordre du femtogramme) de l’isotope », explique la Dre Kerri Miller. « Dans ce cas, nous mesurions le 210Pb. Pour ces échantillons, nous avons dû composer à la fois avec les limites de détection et les interférences spectrales au cours de la préparation et de l’analyse instrumentale. Mais nous avons trouvé un moyen fiable d’y parvenir, et nous pouvons maintenant utiliser cette technologie pour améliorer notre manière d’évaluer l’exposition personnalisée au radon. »
Les chercheurs affirment que les coupes d’ongles d’orteils constituent un tissu idéal pour l’analyse, car elles sont plus protégées que les ongles des doigts ou les cheveux contre les contaminants chimiques auxquels les gens sont souvent exposés — tels que les teintures, les produits de manucure, les nettoyants et les substances chimiques domestiques ou professionnelles. En plus des échantillons d’ongles, les chercheurs ont également recueilli des données sur le mode de vie des participants : le temps passé à la maison, au travail, chez d’autres personnes, dans un véhicule ou à l’extérieur.
« En plus ou moins grande quantité, le radon est présent partout — dans tous les bâtiments où nous vivons, travaillons et nous divertissons — et nous le voyons dans nos données », déclare le Dr Dustin Pearson. « Le temps passé à la maison, au travail, dans la résidence d’une autre personne ou à l’extérieur s’est avéré essentiel pour interpréter nos données, car il définit la dose de rayonnement d’une personne. Grâce à ces informations, nous avons pu déchiffrer ce que nos ongles nous révélaient sur notre histoire d’exposition au radon et développer, pour la première fois, une mesure fiable du radon cumulatif, tenant compte du passé et des différents environnements. »
Les données, combinées aux résultats des tests de radon résidentiels, ont permis de créer l’une des études les plus complètes jamais menées sur l’exposition au radon, en reliant le comportement humain aux marqueurs atomiques d’exposition.
Un pas vers la prévention personnalisée
Cette recherche pourrait transformer la façon dont nous évaluons et prévenons le cancer du poumon en permettant enfin aux scientifiques de prendre en compte l’exposition au radon sur l’ensemble de la vie dans l’évaluation des risques. En analysant quelque chose d’aussi simple qu’un échantillon d’ongles d’orteils, les chercheurs espèrent rendre le dépistage plus inclusif et plus personnalisé.
Pour des Canadiens comme Emi Bossio et Tim Monds, qui n’ont jamais fumé et ont pourtant développé un cancer du poumon, cette recherche offre potentiellement quelque chose de précieux : des réponses.
Questionnaire d’admissibilité